Je ne peux m’empêcher. Je bouge. Un regard en arrière, fugace, ma voisine dans mon dos gribouille sa lettre d’amour. Elle ajoute un « e » à amour, pour accorder avec lettre.
– Cucurbite ! Assez !
Oui, oui, je dois cesser, je suis Cucurbite en cessation de sensations ! Au carré, au cube et même au court brouillon, rien n’y fait, les mathématiques m’indiffèrent.
Sous le Thalès, la page !
Calé dans le creux du classeur, Le Clézio patiente dans le Désert.
Par la fenêtre de la salle on voit la mer, c’est déjà ça.
– Cucurbite Pepa ! Au tableau !
– Courage Pepita, susurre Marie à mes côtés.
Au tableau ? Mais pas celui-ci, segmenté, chiffré. Au tableau, avec mes couleurs, ma gouache, mes pinceaux. Cyan, vermillon, safran à l’assaut !
En vérité, pitoyable, d’avance humiliée, tête basse, épaules rentrées, je comprends sur l’estrade que j’aurais mieux fait de me tenir à carreaux, comme la mer dans la vitre dessinée en quatre.
– Cucurbite tu rêves !
Vingt ans plus tard je traîne encore sur les bancs de l’école. Dites, j’ai tant redoublé ?
Evidemment non, j’enseigne le français à des terminales scientifiques qui dissimulent Pythagore et les formules qu’ils trouvent magiques sous les jupons de Madame Bovary.
Sous le pavé, la Texas aux belles touches.
Ils ont le nez mutin, le teint Biactol et calculent les quatre carreaux de la vitre au millimètre près. Moi je
regarde la mer…
– Cucurbite tu rêves ! Grogne Marie en salle des professeurs. Tu dois sévir, il leur faut connaître les
grands textes !
Je ne réponds pas. Je parlerai littérature, ils poseront des équations poétiques.
Sur l’estrade, Emma Bovary. On verra bien ce qu’elle a à leur dire.
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